Au-delà de modifications purement terminologiques (la marque communautaire devient la marque de l’Union Européenne[4], l’Office de l’Harmonisation dans le marché Intérieur – OHMI – devenant, quant à lui, l’Office de l’Union Européenne pour la Propriété Intellectuelle – OUEPI), ces deux nouveaux textes apportent plusieurs changements au droit des marques dont certains méritent que l’on s’y attarde quelques instants.
Focus sur dix changements importants et leurs incidences pour tous les titulaires de marques par Maîtres Emmanuel Gougé et Léonore Isnard, avocats Pinsent Masons.
1. Suppression de l’exigence de représentation graphique de la marque[5]
Dorénavant, la marque se définit comme le signe (ce terme recoupant des notions aussi variées que nom, dessin, forme, son…) susceptible « d’être représenté dans le registre des marques de l’Union Européenne […] d’une manière qui permette aux autorités compétentes et au public de déterminer précisément et clairement l’objet bénéficiant de la protection conférée à leurs titulaires ». A n’en pas douter une telle modification va permettre l’émergence de marques non-traditionnelles telles que les marques sonores, en mouvement et pourquoi pas de marques olfactives ou gustatives.
On constatera, également, que l’exigence de clarté et de précision, chère à la Cour de Justice de l’Union Européenne, est ici, fort heureusement, maintenue (« […] d’une manière qui permette aux autorités compétentes et au public de déterminer précisément et clairement l’objet […]). Le signe enregistré à titre de marque doit permettre tant aux autorités compétentes qu’au public de déterminer l’objet de la protection revendiquée.
Il revient désormais à l’OUEPI, compte tenu de l’avancée constante des nouvelles technologies, de déterminer, les modes de représentation qui seront admis. L’avenir dira dans quelle mesure cette nouvelle disposition permettra aux déposants de se montrer créatifs.
2. Extension des motifs absolus de refus[6]
Tenant compte du développement des marques non-traditionnelles, cette disposition a été introduite afin d’étendre les motifs absolus de refus déjà applicables aux marques de forme (autrement appelées marques tridimensionnelles).
3. Clarification et renforcement de la protection des marques de renommée[7]
La protection spéciale des marques de renommée est renforcée. En effet, ce qui se présentait comme une disposition facultative sous l’empire de la Directive n° 2008/95/CE du 22 octobre 2008 devient désormais une disposition obligatoire pour les Etats Membres.
4. Renforcement des moyens de lutte contre les marchandises contrefaisantes en transit[9]
Cette possibilité prend cependant fin si le propriétaire desdites marchandises en transit démontre que « le titulaire de la marque de l’Union Européenne n’a pas le droit d’interdire la mise sur le marché des produits dans le pays de destination finale ».
5. Interdiction des actes préparatoires[11]
6. Prise en compte de l’usage sous une forme modifiée de la marque dans l’appréciation de la déchéance[12]
On se souvient, en effet, de l’arrêt Rintisch[13] dont s’inspire le nouveau texte selon lequel constitue un usage permettant d’échapper à la déchéance, l’usage de la marque « sous une forme qui diffère par des éléments n’altérant pas le caractère distinctif de la marque dans la forme sous laquelle elle a été enregistrée, que la marque soit ou non aussi enregistrée sous la forme utilisée au nom du titulaire »[14].
7. Modification des taxes de dépôt[15]
– dépôt dans la 1ère classe : 850 Euros ;
– dépôt dans la 2ème classe : 50 Euros ;
– dépôt dans la 3ème classe : 150 Euros ;
soit un total de 1.050 Euros pour une marque de l’Union Européenne en trois classes contre 900 Euros sous l’ancien système.
8. Clarté et précision relatives à l’identification des produits et services visés[16]
– les produits et services visés doivent être identifiés « avec suffisamment de clarté et de précision pour permettre aux autorités compétentes et aux opérateurs économiques de déterminer sur cette seule base l’étendue de la protection demandée », en ce y compris pour les termes des intitulés des classes de la classification de Nice ;
– il est possible d’utiliser des termes généraux (en ce, y compris les termes généraux des intitulés de classes) mais l’utilisation de ces termes ne pourra jamais être interprétée comme couvrant des produits ou services ne pouvant être compris comme relevant dudit intitulé ;
– les produits et services ne sont pas considérés comme similaires sous prétexte qu’ils appartiennent à une même classe. A contrario, des produits et services ne sont pas considérés comme différents sous prétexte qu’ils appartiennent à des classes différentes.
Par ailleurs, l’article 28 du Règlement n° 2015/2424 organise une période transitoire de six mois (allant ainsi jusqu’au 24 septembre 2016) durant laquelle les titulaires de marques déposées avant le 22 juin 2012 pour l’intitulé entier d’une classe peuvent déclarer que leur intention « à la date de dépôt de la demande, était de demander la protection de produits ou de services au-delà des produits ou de services relevant du sens littéral de l’intitulé de cette classe ». Dans ce cas, les produits et services désignés doivent impérativement figurer sur la liste alphabétique de la classe de la classification de Nice dans sa version en vigueur à la date du dépôt.
9. Elargissement de la procédure d’opposition[18]
Par ailleurs, il est désormais possible d’invoquer :
– l’atteinte à la renommée de la marque fondant la demande d’opposition[19] ;
– une appellation d’origine contrôlée ou une indication géographique[20] au soutien d’une demande d’opposition.
10. Introduction d’une procédure administrative de déchéance ou de nullité[21]
Un délai de sept ans (jusqu’au 14 janvier 2023) est accordé aux États Membres pour transposer cette disposition[22].
Par Emmanuel Gougé et Léonore Isnard, avocats Pinsent Masons
[2] Art. 56 de la Directive n° 2015/2436.
[3] modifiant le Règlement n° 207/2009 du 26 février 2009 sur la marque communautaire.
[4] Art. 1 du Règlement n° 2015/2424.
[5] Art. 4 b) du Règlement n° 2015/2424 et art. 3 de la Directive n° 2015/2436.
[6] Art. 7 e) du Règlement n° 2015/2424 et art. 4 e) de la Directive n° 2015/2436.
[7] Art. 8.5 du Règlement n° 2015/2424 et art. 5.3 de la Directive n° 2015/2436.
[8] CJUE, 23 octobre 2003, C-408/01, § 15.
[9] Art. 9.4 du Règlement n° 2015/2424 et art. 10.4 de la Directive n° 2015/2436.
[10] CJEU, 1er décembre 2011, C-446/09.
[11] Art. 9 bis du Règlement n° 2015/2424 et art. 11 de la Directive n° 2015/2436.
[12] Art. 15.1 du Règlement n° 2015/2424 et art. 16.5 de la Directive n° 2015/2436.
[13] CJUE, 25 octobre 2012, C-553/11, § 18 à 30.
[14] Art. 15.1 du Règlement n° 2015/2424.
[15] Art. 25 du Règlement n° 2015/2424.
[16] Art. 28 du Règlement n° 2015/2424 et art. 39 de la Directive n° 2015/2436.
[17] CJUE, 19 juin 2012, C-307/10.
[18] Art. 43 de la Directive n° 2015/2436.
[19] Voir également en ce sens, art. 8.5 du Règlement n° 2015/2424 et art. 5.3 a) de la Directive n° 2015/2436.
[20] Voir également en ce sens, art. 8.4 i) du Règlement n° 2015/2424 et art. 5.3 c) de la Directive n° 2015/2436.
[21] Art. 45 de la Directive n° 2015/2436.
[22] Art. 54 de la Directive n° 2015/2436.