I. Validité d’une clause de non-concurrence post-contractuelle au regard du droit européen
L’article 101 du TFUE (ex-article 81 TUE) interdit, par règle générale, toute association d’entreprises ayant pour objet de fausser le jeu de la concurrence, sauf dans certaines conditions assez strictes, visant à « améliorer la production ou la distribution des produits ou à promouvoir le progrès technique ou économique, tout en réservant aux utilisateurs une partie équitable du profit qui en résulte » et pour des pratiques qui :
– présentent un caractère indispensable et
– ne donneront pas à des entreprises le pouvoir d’éliminer la concurrence.
La Commission a cependant édicté des règlements d’exemption définissant les conditions auxquelles des accords a priori restrictifs de concurrence peuvent néanmoins être admis.
En droit communautaire, la validité des clauses de non-concurrence est donc reconnue sous certaines conditions posées par l’article 5.3 du Règlement n° 330/2010 de la Commission européenne du 20 avril 2010 (ancien article 5 sous b) du Règlement n° 2790/1999) concernant l’application de l’article 101, §3, du TFUE (ancien article 81, §3 TUE) à des catégories d’accords verticaux et de pratiques concertées.
Cet article prévoit, à titre tout à fait exceptionnel, que des obligations de non-concurrence imposées directement ou indirectement au-delà de l’expiration du contrat peuvent bénéficier de l’exemption par catégorie, pour autant qu’elles satisfassent aux conditions suivantes :
– Premièrement, ces obligations doivent concerner des biens ou services en concurrence avec les biens ou services contractuels.
– Deuxièmement, elles doivent avoir un champ géographiquement limité aux « locaux et aux terrains à partir desquels l’acheteur a opéré pendant la durée du contrat ».
– Troisièmement, ces obligations de non-concurrence doivent être indispensables à la protection d’un savoir-faire transféré par le fournisseur à l’acheteur. Quatrièmement, leurs effets dans le temps ne peuvent dépasser un an à compter de l’expiration du contrat.
Rappelons ici qu’une clause contractuelle qui ne remplirait pas une des conditions d’un règlement d’exemption ne pourrait pas bénéficier de ce Règlement et pourrait être annulée.
La loi belge sur la protection de la concurrence économique (insérée dans le Code de droit économique) reprend les mêmes principes et les applique aux pratiques qui auraient un effet purement interne à la Belgique.
De nombreux auteurs, à l’instar des juridictions nationales, se posent un certain nombre de questions quant au sens du membre de phrase « locaux et […] terrains à partir desquels l’acheteur a opéré pendant la durée du contrat ». Il est en effet permis de se demander si cette formulation est limitée au local dans lequel est exploitée l’activité ou si elle a une portée plus large, étendue à l’intégralité du territoire visé par le contrat.
II. Litige et question préjudicielle posée à la Cour de justice de l’Union européenne
En l’espèce, le franchisé avait unilatéralement résilié le contrat en invoquant différents motifs dont notamment certains manquements aux obligations d’assistance technique et commerciale. Le franchiseur avait quant à lui saisi le juge de première instance de Burgos (Espagne) d’une demande en réparation du préjudice subi par lui du fait de la résiliation anticipée du contrat, ainsi que pour le paiement d’une pénalité forfaitaire pour manquement à la clause de non-concurrence. Le franchisé soutenait que la clause devait être considérée comme nulle en ce qu’elle constituait une pratique anticoncurrentielle non exemptée par le Règlement européen d’exemption en vigueur à l’époque[1], puisqu’elle n’était pas limitée dans l’espace « aux locaux et aux terrains à partir desquels l’acheteur a opéré pendant la durée du contrat » mais s’étendait à tout « le territoire concédé ». Le franchiseur faisait quant à lui valoir que sous l’empire de l’ancien Règlement d’exemption n°4087/88 du 30 novembre 1988 concernant l’application de l’article 85 paragraphe 3 du traité à des catégories d’accords de franchise, l’exemption s’appliquait à l’obligation faite au franchisé de « ne pas exercer, directement ou indirectement, une activité commerciale similaire dans un territoire où il concurrencerait un membre du réseau franchisé, y compris le franchiseur », obligation pouvant « être imposée au franchisé après la fin de l’accord pour une période raisonnable n’excédant pas un an, dans le territoire où il a exploité la franchise » (art. 3). Saisie de la difficulté, l’Audiencia Provincial de Burgos a sursis à statuer et posé à la Cour de Justice de l’Union Européenne les questions préjudicielles suivantes :
1) Le membre de phrase « locaux et […] terrains à partir desquels l’acheteur a opéré pendant la durée du contrat » contenu à l’article 5, sous b), du règlement n° 2790/1999 doit-il s’entendre comme se limitant au lieu ou à l’espace physique à partir duquel ont été vendus les biens ou ont été fournis les services pendant la durée du contrat, ou bien peut-il s’étendre à tout le territoire sur lequel l’acheteur a opéré pendant la durée du contrat ?
2) Dans l’hypothèse où la Cour se prononcerait en faveur de la première interprétation, les termes « locaux et […] terrains » peuvent-ils désigner le territoire dans lequel le franchisé a opéré pendant la durée du contrat lorsque, en vertu du contrat de franchise, le franchisé se voit assigner un territoire déterminé ?
III. Interprétation de la Cour de justice
IV. Conclusion
Nicolas Godin et Patrick Kileste
Avocats