Il s’agissait de mettre en place un nouveau canal de distribution plus stable, plus fidèle et bien plus performant tout comme General Motors mettait au point un système présentant des points communs pour vendre ses voitures sur le marché US lourdement touché par la crise de 1929 aux USA. La Franchise est bien née simultanément des deux côtés de l’Atlantique.
Les filatures du groupe Prouvost, propriétaire de la marque Pingouin, venaient d’inventer la pelote (ou de décider d’utiliser les pelotes inventées auparavant, j’ai un doute.) pour remplacer les écheveaux de laine qui étaient la façon habituelle de les conditionner pour la vente au détail. Il fallut inventer les casiers et les magasins qui « allaient avec » pour remplacer les grands sacs dans lesquels les écheveaux étaient rangés. Un concept de distribution était né.
L’innovation à l’origine de la première franchise en France
Il fallut moderniser les magasins, faire des travaux, les financer, aider les propriétaires des magasins, veiller à ce qu’ils marchent bien, question d’image, question vitale pour trouver d’autres clients prêts à se moderniser et à vendre plus….donc il fallut les épauler…. Tiens, c’était de la franchise mais on ne le savait pas encore, le mot n’existait pas ou plutôt pas sous ce sens là. Dans le même temps, le système de General Motors ressemblait plus à ce qui devint la concession.
Bien sûr le mot franchise existait déjà au moyen âge comme on le lit parfois, certains auteurs disant à tort qu’elle fut inventée au moyen-âge. Curieux raccourci ! Le mot n’avait pas le même sens. Octroyer une franchise à une ville ou à une corporation, c’était l’exonérer d’une de ces nombreuses interdictions de commercer ou de fabriquer que les seigneurs s’ingéniaient à créer pour se réserver des droits, des revenus, des taxes… C’était « affranchir » cette ville ou cette corporation comme on affranchi un esclave ou un serf. Ce n’est que progressivement que le mot franchise est devenu porteur du sens qu’on lui connaît aujourd’hui dans le commerce. Comme souvent, ce sont les américains qui lui ont donné son sens commercial et juridique actuel.
Pingouin faisait de la franchise avant tout le monde
Il faut admettre que si nous avions inventé la franchise en même temps qu’eux, avec réussite puisque Pingouin avait 350 franchisés à la fin des années 40, nous ne lui avions pas donné ce nom et surtout, le système n’avait pas révolutionné le monde des affaires car il fut bien peu copié. Nous ne l’avions pas codifié, pas défini par écrit et pas diffusé. D’ailleurs, les dirigeants de Pingouin, lorsqu’on leur expliqua ce qu’était la franchise, s’étonnèrent de constater qu’ils faisaient de la franchise sans le savoir. On se moquait aussi un peu dans les couloirs de ces consultants venus leur expliquer ce qu’ils faisaient déjà depuis plus de 40 ans. Ils en avaient une bonne maîtrise avec quelque chose comme 3000 ou 3500 magasins franchisés en Europe dont 1800 en France à la meilleure époque
Mais la franchise moderne est différente, depuis peu, de celle de Pingouin et General Motors pour qui la franchise était avant tout le moyen d’écouler la production de leurs usines. Aujourd’hui, on dirait que ces marques font de la concession puisque l’essentiel de l’accord passé avec les commerçants vise à définir les règles de commercialisation de produits « à marque » dans des magasins dont l’enseigne est cette même marque.
Pour en savoir plus sur la concession, lisez cette article : Zoom sur la concession exclusive
La franchise n’est plus affaire de producteurs, elle est affaire de savoir-faire
La franchise moderne ne vise pas, en principe, à écouler les produits fabriqués par le franchiseur, lequel est de moins en moins souvent un fabricant, mais à maximiser la performance et la pérennité d’un réseau. C’est pourquoi on définit désormais la franchise comme un mode de collaboration entre des entreprises financièrement et juridiquement indépendantes par lequel les franchisés, agissant sous l’enseigne du franchiseur, reproduisent fidèlement le concept créé, testé, éprouvé et réussi par le franchiseur qui leur apporte en sus de l’enseigne et de la définition d’une collection de produits ou de services ad hoc, un savoir-faire et une assistance permanente.
Un franchiseur moderne se soucie de la rentabilité de ses franchisés
Mais au fait, Pingouin le faisait déjà avec une exception de taille. Son but n’était pas de maximiser le profit des franchisés mais d’écouler la plus importante production possible des usines. La bonne santé financière des franchisés était le moyen d’avoir un réseau pérenne et performant et donc un débouché stable pour les usines. Car curieusement, la société qui inventa la franchise en Europe est foncièrement demeurée un industriel attaché à ses machines, à son métier et à la laine et ce même alors que le marché du fil à tricoter disparaissait.
Jean Samper
