Depuis une dizaine d’années, les marocains ont commencé à créer leurs propres concepts. Souvent mieux adaptées au marché marocain que certains concepts étrangers, ces franchises ont pourtant souvent rencontré des problèmes par méconnaissance des mécanismes de la franchise. La tradition de la relation orale et l’habitude de tenter de « s’arranger » au gré des volontés changeantes n’est pourtant pas totalement compatible avec la franchise. Si une franchise fonctionne c’est parce que les consommateurs sont séduits par la promesse de la marque du franchiseur et par la façon dont les franchisés tiennent cette promesse auprès du client ce qui suppose une grande homogénéité dans l’application de la politique commerciale et du contrat au sein d’un même marché. Déçus par leurs franchisés, les franchiseurs ayant de bons concepts les ont parfois rachetés.
L’avenir est cependant positif pour la franchise au Maroc mais il faut professionnaliser l’approche métier. Le futur franchisé a trop souvent l’impression que le simple fait de disposer d’un local, d’une bonne marque connue et de ses procédures assurera sa réussite.
Le futur franchisé signe trop facilement un contrat et ne se pose pas assez de questions sur les conditions de la réussite. Le franchiseur lui, n’est pas toujours assez sélectif. Au Maroc, et c’est le cas aussi en Tunisie, il faut passer moins de temps à vendre les avantages de la franchise qu’à en expliquer les contraintes et à en étudier les conditions de réussite. Que fera vraiment le franchiseur pour aider le franchisé ? Le franchiseur et son futur franchisé vont-ils passer assez de temps pour bien expliquer ce que le franchisé devra faire et devra respecter pour réussir ensemble ?
Une loi sur l’information à donner avant de signer un contrat serait utile pour lutter contre des contrats trop vite signés sans réelle conscience des obligations et apports réciproques.
En Tunisie, la franchise n’en est qu’à ses tout débuts. Quelques dizaines de réseaux seulement. Tout est à faire et ce qui s’est passé en Algérie ou au Maroc peut partiellement se reproduire en Tunisie. Le mot de franchise était pratiquement banni du vocabulaire avant la loi de modernisation du commerce de 2009. Je ne mentionnerai que quelques aspects essentiels de cette loi.
Tout d’abord, elle instaure la très salutaire obligation de la remise d’une information pré contractuelle avant toute signature de contrat de franchise ou assimilé dans le but de permettre une décision en connaissance de cause. Si cette obligation est bien appliquée elle permettra d’éviter des malentendus, des excès d’optimisme et donc des drames. C’est un atout pour le développement de la franchise en Tunisie et pour la modernisation du commerce.
Mais son décret d’application de 2010 ne liste que 26 secteurs où les franchises étrangères sont autorisées automatiquement sans devoir demander une autorisation au ministère du commerce ce qui leur permet d’exporter les droits d’entrée et les redevances. Il demeure possible de passer des accords hors ces 26 secteurs si l’on ne demande pas de droit d’entrée ou de redevances. Les franchises de service sont plus contrariées par le petit nombre de secteurs ouverts ; les agences immobilières ou les clubs de fitness par exemple font partie de tous ces métiers qui doivent déposer une demande spécifique dont il ne semble pas qu’une majorité aboutisse à une décision favorable.
En pratique, il semble que des acteurs économiques tunisiens importants et bien introduits aient plus de chance d’obtenir le feu vert alors que de modestes commerçants, artisans ou entrepreneurs trouvent la démarche insurmontable et semblent renoncer avant même de déposer un dossier. On entend parler d’implantations de leaders de la grande distribution et de la restauration rapide que seules de grandes sociétés tunisiennes peuvent financer mais pas assez de franchises de taille raisonnable accessibles aux commerçants, artisans et créateurs d’entreprise. Or ces grandes sociétés ont tendance exploiter elles-mêmes l’ensemble des unités à ouvrir en Tunisie ; elles sou-franchisent peu.
Ce n’est pas néfaste, bien entendu, mais il faut aussi que des franchises de taille plus modestes puissent s’implanter pour que la modernisation du commerce profite au plus grand nombre de petits et moyens entrepreneurs tunisiens car ces unités de taille raisonnable sont plus faciles à rentabiliser par un franchisé exploitant lui-même son affaire que par des grandes sociétés nationales utilisant la franchise obtenue pour créer en Tunisie des chaînes succursalistes. Les deux démarches sont complémentaires.
3) Quels sont les plus et les moins de la franchise en Tunisie ?
Parmi les moins citons principalement la restriction à 26 secteurs seulement des métiers ouverts aux franchises étrangères. Le danger pour l’économie tunisienne n’est pas dans l’ouverture à tous les métiers. Il faut maîtriser les ouvertures des plus grandes surfaces dans la distribution et dans la restauration par exemple pour donner le temps au commerce et à la restauration tunisienne de se moderniser et se donner les moyens de résister aux nouveaux géants. Et pour les aider à se moderniser il faut favoriser la création de franchises d’origine tunisienne bien entendu mais aussi permettre aux entrepreneurs tunisiens d’aller chercher du savoir-faire et des moyens chez des franchiseurs étrangers quel que soit le secteur d’activité.
Parmi les moins, on pense bien entendu aussi aux remous économiques consécutifs à la révolution. Nous espérons tous que cette période difficile soit la plus courte possible.
Parmi les plus, citons d’abord l’obligation légale de donner une bonne information au futur franchisé avant de le faire signer un contrat de franchise. C’est primordial et ce sera efficace si les franchiseurs ou masters franchisés tunisiens profitent de la leçon marocaine et prennent soin de passer tout le temps nécessaire pour vendre à leurs futur franchisés les contraintes de la franchise et les convainquent de respecter les règles du réseau.
Interview réalisée par Nabil Allani pour Entreprises Magazine n°25 Novembre 2013.